Le déclin du français au Québec est réel, pas prétendu - la conclusion du Comité permanent des langues officielles lors de l'examen du PL-C-13
Introduction
La Loi sur les langues officielles du Canada (LLO) a été amendée en 2023 par le Projet de loi PL-C-13. La loi amendée reconnait maintenant l'usage prédominant de l'anglais au Canada et reconnait la contribution au Québec de la Charte sur la langue française du Québec (mieux connue comme la Loi 101) qui favorise la progression dans l'usage du français.
La présente loi a pour objet... 2b.1) de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais, en tenant compte du fait que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais et qu’il existe une diversité de régimes linguistiques provinciaux et territoriaux qui contribuent à cette progression dans la société canadienne, notamment la Charte de la langue française du Québec qui dispose que le français est la langue officielle du Québec; b.2) de favoriser l’existence d’un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l’avenir du français est assuré;
Cette mention de la Loi 101 dans la LLO a été vivement contestée par le groupe de pression anglophone Quebec Community group Network (QCGN) .
QCGN a également contesté sans succès la mesure qui exige que tout appui fédéral aux anglophones du Québec doit respecter la nécessité de protéger et promouvoir le français au Québec , compte tenu du fait que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord.,
41 (1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, compte tenu de leur caractère unique et pluriel et de leurs contributions historiques et culturelles à la société canadienne, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.
41 5) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que les engagements énoncés aux paragraphes (1) à (3) soient mis en oeuvre par la prise de mesures positives.
41 (6) Les mesures positives visées au paragraphe (5) ... b) sont prises tout en respectant : (i) la nécessité de protéger et promouvoir le français dans chaque province et territoire, compte tenu du fait que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais,
L'opposition de QCGN à ces nouvelles mesures a été largement rapportée dans les médias. Le but du présent texte est d'expliquer pourquoi le fédéral a passé outre à l'opposition de QCGN. QCGN est financé presqu'exclusivement par le fédéral. On peut penser qu'il devait bien avoir des raisons sérieuses et convaincantes pour que le fédéral agisse ainsi et mette de côté l'opposition de QCGN.
Et c'était le cas.
Le déclin du français fait l'objet d'un examen rigoureux
En mai, 2023, dans le cadre de son examen du PL-C-13, le Comité permanent des langues officielles a publié un rapport intitulé MESURES DU GOUVERNEMENT POUR PROTÉGER ET PROMOUVOIR LE FRANÇAIS AU QUÉBEC ET AU CANADA. Ce Comité était composé de 12 membres représentant les quatres principaux partis politiques fédéraux . Étant donné l'importance du sujet, dix autres députés à la Chambre des communes ont également participé aux travaux.
Le comité a examiné des statistiques sur l’évolution de la langue française au Canada et au Québec dans le but de déterminer si il y avait un déclin du français au Québec (et au Canada).
Le démographe Patrick Sabourin a défini l’expression déclin du français de la manière suivante :
[O]n parle d’une baisse du poids démographique des francophones par rapport aux autres groupes linguistiques. Plus le poids du français diminue, moins il est compétitif
sur le plan démographique : c’est-à-dire qu’il y aura moins de gens et moins de demandes pour des services en français par exemple, moins de possibilités de travailler
en français, moins d’immigrants qui auront l’occasion ou le désir de côtoyer des francophones, etc8.
Évidemment, dans la mesure où on aurait conclu qu'il avait absence de déclin, cela aurait appuyé QCGN dans son opposion aux mesures proposées pour inclusion dans le PL-C-13 qui visait à promouvoir l'usage du français au Québec.
Les experts
Les positions de divers experts ont été considérées explicitement par le Comité, notamment ceux de Charles Castonguay, professeur à la retraite, du professeur Marc Termote, et de M. Jean-Pierre Corbeil, ancien directeur adjoint de la division Diversité et statistiques socioculturelles à Statistique Canada.
Trois experts ont été cités par QCGN dans sa soumission en 2022 (voir note 63) au Comité sénatorial permanent des langues officielles (qui examinait également le PL-C-13): le même JP Corbeil, ainsi que le professeur Calvin Veltmann et l'auteur Jean-Benoît Nadeau.
63.Voir p. ex. Jean-Pierre Corbeil, « Le «déclin» du français, aveuglement volontaire et pensée magique » Le Devoir
(5 octobre 2021); Calvin Veltman, « Lecture sociolinguistique du recensement canadien : succès inespéré de la Loi
101 « (8 mars 2022), en ligne : Études récentes | La situation linguistique au Québec | études sociolinguistiques
(mobilitelinguistiqueveltman.net). Voir également : Jean-Benoît Nadeau, « Pour en finir avec le déclin de la langue
française », L’actualité (9 avril 2022).
Ces mêmes trois experts sont également cités dans la soumission au Comité permanent des langues officielles de la Fédération québécoise des associations foyers-écoles inc.
M. Castonguay et M. Termote ont invoqué les données sur la langue maternelle et sur la langue parlée à la maison pour conclure au déclin du français au Québec.
QCGN, dans sa soumission au Sénat sur le même projet de loi (voir ici et ici les rapports du comité du Sénat), parle d'un prétendu déclin du français au Québec (en anglais, purported decline of french in Quebec). Le choix de ces mots indiquent bien son désaccord avec l'affirmation qu'il y a un déclin du français au Québec. Il aurait été plus honnête de le dire explicitement.
Le rapport du comité de la chambre explique:
L'expert de QCGN, M. Corbeil, admet que ce sont généralement les données sur la langue maternelle ou sur la principale langue d’usage à la maison qui sont utilisées pour décrire l’évolution du français au Québec. Mais M. Corbeil affirme que les données sur l’usage du français dans la sphère privée (la langue maternelle, la langue parlée à la maison, la capacité de soutenir une conversation en français) sont très utiles, mais « les politiques, les chartes et les
législations en matière de langue visent essentiellement l’espace public30 ».
Le comité explique ainsi la position de M. Corbeil:
En ce qui concerne le paysage linguistique québécois, M. Corbeil croit qu’il faut pousser l’étude des enjeux suivants : la langue de travail et des services au Québec, la sous-représentation des populations issues de l’immigration dans les administrations publiques provinciales, régionales et locales et dans les sociétés d’État de la région métropolitaine de Montréal ainsi que le rôle des trajectoires linguistiques et scolaires, d’une part, et la langue utilisée dans l’espace public au Québec, d’autre part50.
Mes commentaires sur les positions QCGN/Corbeil
La Cour suprême du Canada a reconnu que le Québec s'est joint à la Confédération avec une majorité francophone avec la motivation (un objectif collectif) et le pouvoir politique pour faire la promotion de la langue et la culture de la majorité:
59. Le principe du fédéralisme facilite la poursuite d'objectifs
collectifs par des minorités culturelles ou linguistiques qui
constituent la majorité dans une province donnée. C'est le cas au
Québec, où la majorité de la population est francophone et qui possède
une culture distincte. Ce n'est pas le simple fruit du hasard. La
réalité sociale et démographique du Québec explique son existence comme
entité politique et a constitué, en fait, une des raisons essentielles
de la création d'une structure fédérale pour l'union canadienne en 1867.
Tant pour le Canada‑Est que pour le Canada‑Ouest, l'expérience de
l'Acte d'Union, 1840 (R.‑U.), 3‑4 Vict., ch. 35, avait été
insatisfaisante. La structure fédérale adoptée à l'époque de la
Confédération a permis aux Canadiens de langue française de former la
majorité numérique de la population de la province du Québec, et
d'exercer ainsi les pouvoirs provinciaux considérables que conférait la Loi constitutionnelle de 1867
de façon à promouvoir leur langue et leur culture. Elle garantissait
également une certaine représentation au Parlement fédéral lui‑même.
Source: Renvoi relatif à la sécession [1998] 2 RCS 217.
Nous nous réjouissons que le PL-C-13 a inclut dans la LLO une disposition qui reconnait explicitement la nécessité de maintenir une majorité francophone (foyer francophone majoritaire) au Québec:
3- L’alinéa 2b) de la même loi est remplacé par ce qui suit :... b.2) de favoriser l’existence d’un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l’avenir du français est assuré;
Le choix des indicateurs linguistiques pour déterminer si il y a un déclin du français doit pencher en faveur de ceux qui identifieront le mieux les personnes avec la motivation de poursuivre les objectifs collectifs de la majorité francophone au Québec et de maintenir cette majorité. Le recensement canadien a une question sur la langue parlée à la maison. Ceci remonte au rapport de la Commission B & B qui avait identifié la langue parlée en privée comme un bon indicateur linguistique. D'ailleurs les USA a une question linguistique dans son propre recensement; ici aussi on demande qu'elle est la langue parlée à la maison.
Adopter, suivant M Corbeil, comme indicateur linguistique le fait de parler le français au travail comprendrait ceux qui le font uniquement parce que la majorité francophone en 1974 a adopté une exigeance à cet effet (Loi 22 Loi sur la langue officielle du gouvernement de Robert Bourassa). Mais ceci n'est aucunement garant que les personnes qui se plient à cette législation aujourd'hui auront la motivation de soutenir une telle exigence à l'avenir. Pour pousser cette logique jusqu'au bout, on pourrait envisager un Québec où tous parlent le français au travail et l'anglais à la maison. Selon M. Corbeil, il n'y aurait pas de déclin du français. Mais pendant combien de temps une telle situation pourrait-elle continuer à exister? Pas très longtemps, dans le contexte nord-américain où l'anglais est maître. Sans la motivation nécessaire, les législations linguistiques prendraient rapidement le bord. Même aujourd'hui, la minorité anglophone a tellement de pouvoir politique qu'aucuns des candidats à la chefferie du Parti libéral du Québec (PLQ) osent, dans leurs débats, faire référence au déclin du français au Québec; voir texte de Jean-François Lisée.
Selon nous, il est beaucoup plus probable que la langue maternelle et la langue parlée à la maison identifient le mieux les personnes avec la motivation de parler eux-mêmes et de maintenir en place une société francophone majoritaire.
Recommandation des Comités
Le Comité de la Chambre des communes* a implicitement rejeté la position de M. Corbeil et de QCGN. Il a déterminé à l'unanimité qu'il y avait un déclin du français au Canada, y compris au Québec, et a adopté la recommandation suivante:
Recommandation 12
Que le gouvernement du Canada reconnaisse formellement que le français est en déclin au Canada et au Québec, notamment dans les zones urbaines dont la
région métropolitaine de Montréal, et adopte les mesures nécessaires pour contrer cette tendance préoccupante. (p. 82).
* Le rapport du comité sénatorial dans des mots plus nuancés, est arrivé à la même conclusion: Les témoignages et les mémoires appuient, en grande majorité, l’engagement à protéger et à promouvoir le français. Bien que certains contestent la prémisse voulant que le français soit en déclin au Québec2, il est généralement admis que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais et que cette
reconnaissance a sa place dans la LLO modifiée. (page 2 du rapport). En cas de différences entre les recommandations/conclusions des deux comités, nous préférons une recommandation d'un corps élu sur celle d'un corps non-élu.
Mesures positives adoptées
Le PL-C-13, tel qu'adopté, inclut les mesures positives suivantes qui sont manifestement directement inspirées par la recommandation du comité de la chambre:
- un titre pour la loi qui reconnait qu'il n'y a pas d'égalité réelle entre les deux langues:
Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada .
- le préambule et un texte de loi qui reconnait la situation minoritaire du français:
qu’il s’est engagé à protéger et à promouvoir le français, reconnaissant que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais. et
- un article 41 (2) qui stipule:
Le gouvernement fédéral, reconnaissant et prenant en compte que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais, s’engage à protéger et à promouvoir le français.
- la reconnaissance de la Loi 101:
dans un préanbule: qu’il reconnaît la diversité des régimes linguistiques provinciaux et territoriaux qui contribuent à la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne, notamment...que la Charte de la langue française du Québec dispose que le français est la langue officielle du Québec; et
dans le texte de la loi (alinéa 2(b.1)): favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais, en tenant compte du fait que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais et qu’il existe une diversité de régimes linguistiques provinciaux et territoriaux qui contribuent à cette progression dans la société canadienne, notamment la Charte de la langue française du Québec qui dispose que le français est la langue officielle du Québec.
- la loi met fin à la symétrie linguistique entre les langues et entre les minorités linguistiques:
alinéa 3.1 stipule Pour l’application de la présente loi a) les droits linguistiques doivent être interprétés d’une façon large et libérale en fonction de leur objet;...d) ces droits doivent être interprétés en tenant compte du fait que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais et que la minorité anglophone du Québec et les minorités francophones des autres provinces et des territoires ont des besoins différents.
- l'article 41 exige que le soutien aux anglophones au Québec donéravant tienne compte de la nécessité de protéger et promouvoir le français:
41 (1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement...; (5) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que les engagements énoncés aux paragraphes (1) à (3) soient mis en œuvre par la prise de mesures positives; et (6) Les mesures positives visées au paragraphe (5) ...sont prises tout en respectant : (i) la nécessité de protéger et promouvoir le français dans chaque province et territoire, compte tenu du fait que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais,
Mesure mise de côté- favoriser le poids démographique des francophones au Québec
Le comité de la Chambre des communes a retenu l'opinion du démographe Patrick Sabourin, qui défini l’expression déclin du français en terme d’une baisse du poids démographique des francophones. On se serait attendu à trouver dans ses recommandations et dans le texte de loi des mesures visant à protéger et favoriser le poids démographique des francophones du Québec.
Il n'en est rien.
Oui, le préambule et le texte de loi PL-C-13 tel qu'adoptés recommandent des mesures pour contrer la perte démographique ses francophones hors- Québec:
Préambule: des mesures pour favoriser l’épanouissement des minorités francophones, notamment enassurant le rétablissement et l’accroissement de leur poids démographique, et
Art. 41(6): toute mesure visant ...à assurer le rétablissement et l’accroissement du poids démographique des minorités francophones .
Mais il n'y a rien d'équivalent pour la perte démographique des francophones au Québec. Ainsi, la loi reconnait au Canada deux collectivités de langue officielle (préambule) et exige (41(6)) la nécessité de prendre en considération les besoins propres à chacune des deux collectivités de langues officielles, compte tenu de leur égale importance. Cependant, il n'y a aucune mesure équivalente pour protéger et favoriser le poids démographique des francophones au Québec, ou même de la collectivité de langue officielle française canadienne dans son ensemble (ce qui comprendrait les francophones du Québec et hors-Québec). C'est un trou béant qu'il faudrait un jour corriger.
Conclusion
QCGN, dans sa soumission au comité du Sénat, parle d'un prétendu déclin du français au Québec (en anglais, purported decline of french in Quebec). Et il continue de refuser de reconnaitre un déclin du français au Québec, et déclare se sentir trahi. Le Comité permanent des langues officielles du Canada (pas du Québec), composé de 12 membres représentant les quatre principaux partis politiques, a publié un rapport intitulé MESURES DU GOUVERNEMENT POUR PROTÉGER ET PROMOUVOIR LE FRANÇAIS. Il a examiné les arguments de QCGN et a rejeté sa position. Il serait temps que QCGN et ses complices reconnaissent et acceptent la réalité. On pourrait en dire de même des candidats à la chefferie du PLQ.
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Marc Ryan
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