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Article de fond

Le PL-C-5 du gouvernement Carney protège le marché économique canadien , mais au dépens du français

Marc Ryan

Introduction

Le gouvernement Carney du PLC a déposé le 6 juin, 2025 son projet de loi phare, le PL-C-5, Loi sur l’unité de l’économie canadienne. PL-C-5 établit un cadre législatif pour éliminer des obstacles fédéraux au commerce interprovincial des biens et des services et pour améliorer la mobilité de la main-d’œuvre au Canada. 

Nous nous intéressons à ce projet de loi, moins pour ses objectifs économiques (que plusieurs contestent. Voir Daniel Dufort et Larysa Harapyn) que pour l'absence de dispositions cherchant à protéger et promouvoir le français au Canada, y compris au Québec. L'absence de dispositions en dit long sur les priorités du gouvernement Carney.

Projet de loi jumeau au Québec

En parallel avec le projet de loi fédéral, au Québec le gouvernement caquiste de François Legault a déposé le PL-112 intitulé Loi favorisant le commerce des produits et la mobilité de la main-d’œuvre en provenance des autres provinces et des territoires du Canada. Ce projet de loi énonce le principe que, malgré toute disposition
inconciliable, tout produit en provenance des autres provinces et des territoires du Canada peut être commercialisé, utilisé ou consommé au Québec sans autre exigence liée notamment à sa fabrication, à sa composition ou à son classement

La ressemblance des deux projets de lois est évidante, à une exception majeure, la protection du français.

PL-C-112 et le français

L'article 1 du PL-C-112 précise que:

Elle ne limite d’aucune façon l’application des dispositions visant la protection de la langue française.

On peut penser que le texte est plutôt laconique sur ce point, mais le principe est bien posé. Au Québec le commerce  doit respecter la langue.

Et au fédéral?


PL-C-5 et le français

Le projet de loi PL-C-5 prend bien la peine de dire que :

4 La présente loi a pour objet de favoriser le libre-échange et la mobilité des travailleurs par l’élimination d’obstacles fédéraux à la libre circulation interprovinciale des biens, à la prestation interprovinciale des services et à la mobilité de la main-d’œuvre au Canada tout en continuant à protéger la santé, la sécurité et le bien-être social et économique des Canadiens, ainsi que l’environnement.... tout en protégeant l’environnement et en respectant les droits des peuples autochtones.

Alors, le commerce doit tenir compte de la santé, la sécurité, le bien-être, l'environement et les autochtones. Mais le français?

La Loi sur les langues officielles (LLO)

La LLO depuis les amendements du PL-C-13 en 2023  a des dispositions avec les objectifs suivants:

Reconnaitre la Loi 101

il reconnaît la diversité des régimes linguistiques provinciaux et  territoriaux qui contribuent à la progression vers l’égalité de statut  et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne,  notamment :...que la Charte de la langue française du Québec dispose que le français est la langue officielle du Québec,

Reconnaitre la nécessité de maintenir une majorité francophone su Québec

b.2) de favoriser l’existence d’un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l’avenir du français est assuré;

S'engager à des mesures positives qui tienne compte de l'usage dominant de l'anglais

41 (2) Le gouvernement fédéral, reconnaissant et prenant en compte que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais, s’engage à protéger et à promouvoir le français.

5) Il incombe aux institutions fédérales  de veiller à ce que les engagements énoncés aux paragraphes (1) à (3)  soient mis en oeuvre par la prise de mesures positives.

(7) Dans la réalisation de leur mandat, les institutions fédérales, sur la base d’analyses, à la fois : a) considèrent le potentiel de prise de mesures positives au titre du paragraphe (5) et b) considèrent les possibilités d’éviter  ou, à tout le moins, d’atténuer les impacts négatifs directs que leurs  décisions structurantes pourraient avoir sur les engagements énoncés aux
paragraphes (1) à (3)
.

Le PL-C-5 et la protection du français

Malgré ces nouveaux objectifs dans la LLO, et malgré que le Québec, de son côté, prévoit explicitement que le commerce doit tenir compte de la protection du français, le gouvernement Carney n'a rien prévu d'équivalent dans le PL-C-5. On doit tenir compte des patients, les autochtones, les travailleurs, les bénéficiaires de prestations sociales, et la protection de l'environement. Mais protéger le français contre de l’usage prédominant de l’anglais, nyet. 

Conclusion

La gouvernement Carney a été élu avec un programme très faible sur la protection du français, voir notre texte. Le PL-C-5 récidive. Rien de rassurant. Il faudrait corriger le tir.


NB: mise à jour.

Le Commissaire à la langue française a depuis proposé des mesures pour assurer la maitrise du français pour des nouveau arrivants qui feront parties de corps de métiers reconnus. voir vidéo ici. Voici des extraits de sa mémoire:

Déclin du français

Depuis le début des années 2000, l’utilisation du français a amorcé un recul selon pratiquement tous les indicateurs disponibles1. Ce recul est particulièrement évident sur le marché du travail, où plusieurs tendances structurelles exercent une pression sur l’utilisation du français. Nous soulignons plus particulièrement :          − la croissance de la population issue de l’immigration, dont une part non négligeable est plus à l’aise en anglais qu’en français;

− l’augmentation du niveau de bilinguisme des Québécois, notamment parmi les plus jeunes cohortes;

− la croissance d’emplois de niveau professionnel qui exigent des contacts quotidiens avec des fournisseurs, des collègues et des clients anglophones2.

Ces tendances se manifestent à l’échelle du Québec, mais elles se concentrent dans les régions de Gatineau et de Montréal, où le recul du français est plus prononcé. Sur l’île de Montréal, par exemple, la proportion de personnes utilisant le français comme principale langue de travail est passée de 65 % à 59 %. Dans la ville de Gatineau, cette proportion est passée de 67 % à 63 %3. Par ailleurs, nous avons mesuré un recul important du français dans les secteurs où il existe déjà une forte intégration à l'échelle canadienne, comme les finances, les télécommunications, les transports et l’administration publique fédérale4. En outre, la croissance du télétravail depuis la pandémie pourrait avoir aggravé la situation5...

--Sur le plan linguistique, le Québec a longtemps connu des pertes nettes tant chez les francophones que chez les anglophones. Toutefois, entre 2016 et 2021, le nombre de personnes de langue anglaise entrant au Québec a fortement augmenté, atteignant presque le nombre de sortants, une première depuis au moins 50 ans...

--Les migrants interprovinciaux présentent, en moyenne, le profil linguistique le moins francophone de la population active québécoise. Ainsi :

− parmi les personnes domiciliées hors Québec un an avant le recensement, 63,7 % déclaraient connaître le français et seulement 26,7 % l’utilisaient de façon

prédominante au travail;

− parmi les personnes domiciliées hors Québec cinq ans avant le recensement, 67,5 % déclaraient connaître le français et seulement 31,1 % l’utilisaient de façon prédominante au travail.

À titre comparatif, l’utilisation prédominante du français au travail oscillait autour de 50 % pour les migrants internationaux, et elle atteignait près de 80 % dans le reste de la population active. Globalement, ces données indiquent que les migrants interprovinciaux contribuent à affaiblir la place du français sur le marché du travail québécois, notamment dans les régions de Montréal et Gatineau, où ils se concentrent.

PL-112, le commerce et la migration interprovinciale, et la protection du français

En favorisant la mobilité de la main-d’œuvre, le projet de loi n° 112 risque d’accroître les mouvements qui fragilisent la situation du français au Québec. Pour protéger les droits linguistiques des Québécois, nous recommandons au gouvernement d’intégrer au projet de loi des mesures de nature ex ante. Sachant que les travailleurs du reste du Canada utilisent beaucoup moins le français au travail, on doit agir en amont, c’est-à-dire au moment de la reconnaissance professionnelle. Nous recommandons ainsi au gouvernement du Québec d’exiger la connaissance du français pour tout travailleur venant du reste du Canada qui souhaite exercer une profession ou un métier régi par une autorité de réglementation québécoise. Cette exigence devrait s’appuyer sur l’Échelle québécoise des niveaux de compétence en français8 et le Référentiel québécois de profils de compétences en français de métiers et professions9.

Documents, liens, images et vidéos utiles

Marc Ryan

Auteur

Mots-clés

  • Déclin du français,
  • métiers,
  • professions,
  • Commerce,
  • migration,
  • Maitrise du français